Une démission donnée dans un diocèse éprouvé
« La paix étant le bien suprême, (...) j'ai présenté ma démission au Saint-Père, pour qui je prie tous les jours ». C’est par ces mots que Mgr Luc Ravel annonçait remettre sa charge pastorale d’archevêque de Strasbourg le jeudi 20 avril 2023, une démission donnée dans un climat de fortes tensions pour le diocèse de Strasbourg. « Soit c’est une démission forcée, et je suis obligé de parler de harcèlement. Soit c’est une démission qui se fait dans la liberté de conscience, et à ce moment-là, c’est à moi de fixer la date quand j’estime que les temps sont mûrs » confiait-il à La Vie. « Je ne conteste aucune maladresse de ma part, et je n’ai aucune prétention à l’infaillibilité », affirmait Mgr Ravel, se défendant cependant d’avoir fait preuve d’autoritarisme : « Je n’ai jamais pris de décision sans consulter autour de moi. Pas forcément mes conseils diocésains, mais des conseils personnels : avocats, médecins… ».
Une visite apostolique avait été réalisée entre le 27 juin et le 14 juillet 2022, suite à un signalement de l’économe diocésain mis à pied quelques semaines auparavant. Cette décision du Saint-Siège révélait la gravité de la situation concernant son gouvernement pastoral, jugé autoritaire et solitaire. Mgr Ravel voyait dans cette situation de crise, les conséquences de son combat contre les abus sexuels, annonçant toutefois vivre cette annonce « dans la foi et la confiance ».
Un diocèse sous le choc des abus
Le 23 mars 2023, Mgr Ravel retirait la charge de vicaire général à Mgr Christian Kratz, évêque auxiliaire depuis décembre 2000, et l'excluait du conseil épiscopal. La décision perçue comme brutale a été transmise par un courrier glissé sous la porte de son auxiliaire, et serait justifiée par la mauvaise gestion du cas de l'ancien aumônier du collège épiscopal Saint-Etienne accusé de viol par une ancienne élève. Mgr Kratz a depuis indiqué qu'il n'a pas été en charge de ce dossier. Durant la Semaine Sainte, c'est le chanoine Hubert Schmitt, vicaire général chargé des solidarités, qui a été à son tour évincé du conseil épiscopal. Ce dernier est mis en cause dans une affaire d'abus à caractère sexuel qui remonterait à une trentaine d'années et concernerait un mineur de 13 ans.
Au cours de ces derniers mois, l'Eglise en Alsace a été sous le choc de plusieurs révélations concernant des membres du clergé. Cette semaine, les Dernières Nouvelles d'Alsace ont révélé que le chancelier du diocèse faisait l'objet d'une enquête canonique, après sa mise en cause par un jeune séminariste pour des faits qui se seraient déroulés en 2006. En novembre dernier, c'était Mgr Jean-Pierre Grallet, l'archevêque émérite, qui reconnaissait lui-même dans un communiqué « des gestes déplacés » envers une jeune femme majeure à la fin des années 80.
L'archidiocèse de Strasbourg
En Alsace, le diocèse de Strasbourg s'établit définitivement après la Révolution française, issu de la fusion de deux anciens diocèses : la Haute et la Basse Alsace. Le christianisme y est attesté dès le IVe siècle, ce qui fait de l'Alsace l'une des plus anciennes terres chrétiennes de France. Fortement marqué par la figure de sainte Odile, dont le sanctuaire et le mont éponymes sont en Alsace, le diocèse a traversé une histoire mouvementée de conflits, guerres et troubles politiques. En 1918, l'Alsace prussienne depuis 1870 redevient française avec la fin de la première guerre mondiale.
Le diocèse de Strasbourg et le diocèse de Metz restent les deux seuls diocèses français sous régime concordataire, les deux régions étant rattachées au royaume de Prusse lors de la promulgation de la loi de 1905 mettant fin au concordat. Les religions y bénéficient encore d'un statut officiel, prêtres et laïcs œuvrant pour l'Église y sont rémunérés par l'Etat. Ce statut implique aussi que l'archevêque de Strasbourg et l'évêque de Metz soient « désignés » par le chef de l'État français, dans les faits le gouvernement suit en général l'avis du Vatican. Autre particularité, les nominations épiscopales en Alsace et Moselle sont publiées au Journal officiel de la République. Fort aujourd’hui de 1,9 millions d’habitants, il compte 1,3 millions de baptisés selon le site du diocèse.