« La paix étant le bien suprême, (...) j'ai présenté ma démission au Saint-Père, pour qui je prie tous les jours », a transmis Mgr Luc Ravel à l'AFP, ce jeudi 20 avril. « J'ai toujours agi au plus près du droit et de ma conscience » écrit l'archevêque dans un communiqué, « Ce souci de la paix se conjugue dans mon coeur avec la préoccupation de la vérité et de la justice que j'ai toujours cherchées à l'égard des prêtres, des fidèles et en particulier des personnes victimes que je n'oublierai jamais ».
Les membres du conseil épiscopal de Strasbourg, pourtant réunis ce matin avec l'archevêque, l'ont appris par la presse cet après-midi. « Il n'a pas dit un mot ce matin » relève l'un des membres du conseil, marqué par les fortes tensions de ces dernières semaines.
Cette démission n'a cependant pas encore été annoncée par l'État et le Vatican. La Conférence des évêques de France indique pour sa part avoir « appris » cette démission et assure « dans cette période éprouvante pour l’ensemble des catholiques d’Alsace, à Mgr Ravel, les prêtres et l’ensemble des fidèles de l’archidiocèse de Strasbourg, de sa prière et de son soutien fraternel ».
Une visite apostolique entre le 27 juin et le 14 juillet 2022
Le 23 juin dernier, la nonciature apostolique à Paris annonçait l'ouverture d'une visite apostolique de l'archidiocèse de Strasbourg, déclenchée notamment par un signalement de l'économe diocésain mis à pied quelques semaines auparavant. Elle a été confiée à Mgr Stanislas Lalanne, évêque de Pontoise, assisté de Mgr Joël Mercier, secrétaire émérite du Dicastère pour le Clergé. Si Mgr Ravel invoque les conséquences de son combat contre les abus sexuels, cette décision du Saint-Siège révélait la gravité d'une situation concernant son gouvernement pastoral, jugé autoritaire et solitaire.
Menée entre le 27 juin et la mi-juillet, cette enquête était présentée comme « l’expression de la sollicitude du pape François à l’égard de l’Église particulière de Strasbourg et vise à aider celle-ci à remplir sa mission de témoin du Seigneur Ressuscité ». Mgr Luc Ravel, archevêque de Strasbourg depuis 2017, annonçait alors accueillir cette annonce « dans la foi et la confiance ».
Selon les pratiques propres à l'Eglise, le rapport de cette visite apostolique n'a pas été rendu public. Mais depuis plusieurs mois, le Saint-Siège exigeait la démission de Mgr Ravel. La situation concordataire du diocèse a rendu plus complexe la situation de l'archevêque, nommé à la fois par le pape et le Président de la République.
La période incertaine de l'automne n'a pas empêché Mgr Luc Ravel, polytechnicien, d'être nommé membre de l’Académie des Sciences morales et politiques, dans la section morale et sociologie, d'après un décret du Journal officiel paru le mardi 20 décembre 2022.
Un diocèse sous le choc des abus
Dans l'attente des décisions du Saint-Siège, le diocèse a vécu ces derniers mois dans un climat de fortes tensions. Le 23 mars dernier, Mgr Ravel a retiré la charge de vicaire général à Mgr Christian Kratz, évêque auxiliaire depuis décembre 2000, et l'a exclu du conseil épiscopal. La décision perçue comme brutale a été transmise par un courrier glissé sous la porte de son auxiliaire, et serait justifiée par la mauvaise gestion du cas de l'ancien aumônier du collège épiscopal Saint-Etienne accusé de viol par une ancienne élève. Mgr Kratz a depuis indiqué qu'il n'a pas été en charge de ce dossier. Durant la Semaine Sainte, c'est le chanoine Hubert Schmitt, vicaire général chargé des solidarités, qui a été à son tour évincé du conseil épiscopal. Ce dernier est mis en cause dans une affaire d'abus à caractère sexuel qui remonterait à une trentaine d'années et concernerait un mineur de 13 ans.
Au cours de ces derniers mois, l'Eglise en Alsace a été sous le choc de plusieurs révélations concernant des membres du clergé. Cette semaine, les Dernières Nouvelles d'Alsace ont révélé que le chancelier du diocèse faisait l'objet d'une enquête canonique, après sa mise en cause par un jeune séminariste pour des faits qui se seraient déroulés en 2006. En novembre dernier, c'était Mgr Jean-Pierre Grallet, l'archevêque émérite, qui reconnaissait lui-même dans un communiqué « des gestes déplacés » envers une jeune femme majeure à la fin des années 80.
L'archidiocèse de Strasbourg
En Alsace, le diocèse de Strasbourg s'établit définitivement après la révolution française, issu de la fusion de deux anciens diocèses : la Haute et la Basse Alsace. Le chistianisme y est attesté dès le IVe siècle, ce qui fait de l'Alsace l'une des plus anciennes terres chrétiennes de France. Fortement marqué par la figure de sainte Odile, dont le sanctuaire et le mont éponymes sont en Alsace, le diocèse a traversé une histoire mouvementée de conflits, guerres et troubles politiques. En 1918, l'Alsace prussienne depuis 1870 redevient française avec la fin de la première guerre mondiale.
L'Alsace reste avec la Moselle les deux seuls diocèses français sous régime concordataire, les deux régions étant rattachées au royaume de Prusse lors de la promulgation de la loi de 1905 mettant fin au concordat. Les religions y bénéficient encore d'un statut officiel, prêtres et laïcs œuvrant pour l'Église y sont rémunérés par l'Etat. Ce statut implique aussi que l'archevêque de Strasbourg et l'évêque de Metz soient « désignés » par le chef de l'état français, dans les faits le gouvernement suit en général l'avis du Vatican. Autre particularité, les nominations épiscopales en Alsace et Moselle sont publiées au Journal officiel de la République. Fort aujourd’hui de 1,9 millions d’habitants, il compte 1,3 millions de baptisés selon le site du diocèse.