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En Birmanie, l’archevêque de Rangoun appelle à « la paix comme seule solution »

Publié le 02/02/2021

La dirigeante Aung San Suu Kyi a été arrêtée lundi 1er février par l’armée, qui a pris le pouvoir en Birmanie. Dans ce contexte tendu, le cardinal Charles Maung Bo tente d'apaiser les esprits et rappelle son attachement à la démocratie.

Le cardinal Charles Maung Bo, archevêque de Rangoun, appelle au « calme » et à « la paix comme seule solution », après le coup d’État de l’armée birmane qui a conduit à l’arrestation de l’ex-dissidente et dirigeante Aung San Suu Kyi.

« Nous avons versé suffisamment de sang », écrit-il dans un message fleuve sur le site de l’archidiocèse de Rangoun (traduction du message en français en bas de cette page).

Les militaires contestent les résultats des élections législatives de novembre 2020, largement remportées par la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), parti d’Aung San Suu Kyi. Le président de la République, Win Myint, et d’autres responsables de la NLD ont également été arrêtés.

Le général en chef de l’armée, Min Aung Hlaing, s’est octroyé les pleins pouvoirs. Il a proclamé l'état d'urgence pour un an et dissout le parlement.

« Vous serez toujours la voix de notre peuple »

Le cardinal Maung Bo rappelle avec vigueur son opposition au coup d’État et son soutien à Aung San Suu Kyi. « Les allégations d'irrégularités de vote auraient pu être résolues par le dialogue, en présence d'observateurs neutres, regrette-t-il. Une belle opportunité a été perdue ».  À l’adresse de la « Dame de Rangoun », il écrit : « Vous avez vécu pour notre peuple, vous avez sacrifié votre vie pour notre peuple. Vous serez toujours la voix de notre peuple ».

Ce coup d’État survient six ans après les premières élections démocratiques du pays, qui avaient porté Aung San Suu Kyi au pouvoir. « Le sentiment général chez les chrétiens, c’était l’espoir d’un mieux, d’une paix, d’une réconciliation, mais tout s’est arrêté maintenant. On revient à une période sombre, témoigne un chrétien sur place, sous couvert d’anonymat. Notre prière, c’est que Dieu ne nous abandonne jamais ».

 

Dans ce contexte incertain, l’évêque auxiliaire de Rangoun, Mgr John Saw Yaw Han, a demandé aux prêtres de « pourvoir à la mise en place de réserves de nourriture pour éviter les carences » et de « constituer des stocks de médicaments pour tous les besoins de la santé de la population ».

Pour des raisons de sécurité, l’évêque a appelé les prêtres à « être vigilants et contrôler les personnes qui entrent » dans les paroisses. Le pays est miné de longue date par des conflits entre l’armée et des minorités ethniques, dont les Kachins ou les Karens, principalement chrétiens. Près de cent mille d’entre eux vivent actuellement dans des camps de déplacés.

Accusations de fraudes

Le parti politique d’Aung San Suu Kyi, la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), est accusé par les militaires de fraudes aux élections législatives de novembre 2020. La NLD a remporté ces élections avec 61,6% des voix. En face, le Parti de l'union, de la solidarité et du développement (USPD), allié à l’armée, en a obtenu 3,1%. Un piètre score contesté par le général en chef de l’armée birmane, Min Aung Hlaing.

Quelques jours avant la tenue du scrutin de novembre, Min Aung Hlaing et l’USPD avaient remis en cause l’indépendance de la commission électorale et menacé de ne pas reconnaître les résultats, alors que la NLD partait largement favorite. « Dans ce contexte birman, voir ce parti proche de l’armée tenir de tels propos est inquiétant », reconnaissait alors Sophie Blondon, coordinatrice de l’association Info-Birmanie. Elle s'exprimait sur le plateau de KTO dans l'émission Églises du Monde.

 

Depuis plusieurs jours, la Tatmadaw – l’armée birmane – faisait planer la menace d’un coup d’État. Le 26 janvier, soit six jours avant le coup d’État, le cardinal Charles Maung Bo avait publié une déclaration dans laquelle il demandait de reconnaître les résultats du scrutin, selon l'agence Fides.

Le régime montrait pourtant des signes d’ouverture depuis la dissolution de la junte en 2011. La NLD a été autorisée à se présenter aux élections législatives de 2015, qu’elle a largement remportées. Après 15 années en résidence surveillée, Aung San Suu Kyi a été nommée conseillère spéciale d’État, et tenait un rôle de Premier ministre. Celle qui incarnait l’opposition au régime militaire est alors devenue la dirigeante de facto du pays.

Rencontre avec le pape François

En mai 2017, le Myanmar a établi officiellement de pleines relations diplomatiques avec le Saint-Siège. Et du 27 novembre au 30 novembre de la même année, le pape François a effectué un voyage historique dans ce pays à majorité bouddhiste, qui ne compte que 1,3% de catholiques. Il a prononcé son premier discours officiel sur le sol birman en présence d’Aung San Suu Kyi.

« L’avenir du Myanmar doit être la paix. Une paix fondée sur le respect de la dignité et des droits de tout membre de la société, de tout groupe ethnique et de son identité, de l’état de droit et d’un ordre démocratique », a déclaré le souverain pontife, qui a voulu par sa visite encourager la réconciliation nationale. Composée d’une mosaïque de 135 ethnies, la Birmanie a vécu plusieurs décennies de junte militaire (1962-2011) et de conflits interethniques.

 

Les législatives remportées par la NLD en 2015 étaient les premières élections générales depuis la dissolution de la junte. Mais la transition démocratique était restée partielle, les militaires ayant gardé le contrôle de certains ministères, comme ceux de l'Intérieur et de la Défense.

Malgré le cumul de plusieurs fonctions, dont celle de conseillère spéciale d’État et de ministre des Affaires étrangères, la marge de manœuvre d’Aung San Suu Kyi demeurait limitée.

Ces limites se sont notamment manifestées par le refus d’Aung San Suu Kyi de reconnaître les exactions contre les Rohingyas, une minorité musulmane en proie à un nettoyage ethnique par l’armée. La Prix Nobel de la paix, adulée sur la scène internationale, avait alors perdu de son aura ces dernières années.

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Qui sont les chrétiens de Birmanie ?

L’Évangile arrive il y a 500 ans en Birmanie, avec des missionnaires Portugais. Des prêtres des Missions étrangères de Paris commencent à fonder une Église locale au XVIIème siècle. Ils contribuent à l’évangélisation jusque dans les régions les plus reculées. Mais des décennies de dictature militaire freinent cet essor : les écoles sont nationalisées. Les missionnaires sont expulsés.

Aujourd’hui, l’Église a retrouvé un peu de liberté. Depuis l’établissement des relations diplomatiques entre la Birmanie et le Vatican en mai 2017, les chrétiens osent défendre les minorités victimes de conflits. Avec Caritas, l’Église se mobilise notamment auprès de milliers de déplacés chrétiens dans l’État Kachin, au nord-est du pays, mais aussi auprès des Rohingyas.

En novembre 2017, le pape François effectue un voyage historique en Birmanie. Dans la foule pleine à craquer qui l’attend devant la cathédrale de Rangoun, un jeune chrétien confie à KTO : « Certaines personnes ont des difficultés à faire la paix, mais j’espère que la venue du pape François nous encouragera à en être les artisans ».

Message du cardinal Bo

Mes chers amis,

J'écris ces lignes en tant que leader spirituel, qui compatit avec des millions de personnes en ce moment. J'écris à mon cher peuple, les représentants civils, les Tatmadaw (l'armée de Birmanie) et la communauté internationale. J'ai observé avec tristesse les moments d'obscurité de notre histoire et regardé avec espoir la résilience de notre peuple dans la lutte pour sa dignité.

Nous traversons les moments les plus délicats de notre histoire. J'écris avec amour pour tous, cherchant une solution durable, priant pour la fin définitive de l'obscurité périodique qui enveloppe notre chère nation.

1. À mon cher peuple de Birmanie :

Je partage une profonde solidarité avec chacun de vous en ce moment, tandis que vous vous battez avec ces évènements inattendus et choquants qui déferlent dans notre pays. J'appelle chacun d'entre vous à rester calme et à ne jamais être victime de la violence. Nous avons versé assez de sang. Ne laissons plus le sang être versé sur cette terre. Même dans ce moment le plus critique, je crois que la paix est la seule option, la paix est possible. Il y a toujours des voies non violentes pour exprimer notre opposition. Les évènements actuels sont le triste résultat d'un manque de dialogue et de communication et de visions divergentes. Ne maintenons pas la haine en ce moment où nous luttons pour la dignité et la vérité. Que les leaders de communautés et religieux prient et encouragent les communautés à répondre pacifiquement à ces événements. Prions pour tous, prions pour tout, évitons les occasions de débordements. Nous traversons une pandémie. Nos courageux personnels de santé ont sauvé beaucoup de vies. Nous comprenons votre peine. Certains se sont résignés en signe de protestation, mais je vous supplie, n'abandonnez pas votre peuple dans le besoin en ce moment.

2. À notre général Tatmadaw et à la famille Tatmadaw :

Le monde a réagi avec stupéfaction et angoisse devant ce qui s'est passé. Quand, en 2015, une transition pacifique du gouvernement élu a été opérée par l'Armée, cela a suscité l'admiration du monde. Aujourd'hui le monde essaye de comprendre ce qui n'a pas marché les années qui ont suivi. Y a t’il eu un manque de dialogue entre les autorités civiles élues et le Tatmadaw ?

Nous avons vu tellement de peine avec ces conflits. Sept décennies de sang versé et d'usage de la violence n'ont apporté aucuns résultats. Vous avez tous promis la paix et une véritable démocratie. La démocratie était la période d'espoir pour résoudre les problèmes de ce pays autrefois riche. Cette fois des millions de personnes ont voté pour la démocratie. Notre peuple croit en une passation de pouvoir pacifique.

Maintenant le Tatmadaw a unilatéralement pris le contrôle. Cela a choqué le monde et le peuple de Birmanie. Les allégations de fraudes électorales auraient pu être résolues par le dialogue, en présence d'observateurs neutres. Une grande opportunité a été perdue. Beaucoup de chefs d’Etats ont condamné et condamneront cette action choquante.

Maintenant, vous promettez une plus grande démocratie - après une enquête et une autre élection. Le peuple birman est fatigué de ces promesses non tenues. Il n'acceptera jamais une fausse protestation. Vous avez aussi promis de tenir des élections multipartites dans un an. Comment gagnerez-vous la confiance de notre peuple ? Il y croira seulement quand les paroles seront suivies d'actions sincères.

Leur angoisse et leur déception doivent être comprises. Vous devez prouver par vos actions que vous les aimez, que vous prenez soin d'eux. Une fois de plus, je vous supplie de les traiter avec une grande dignité et pacifiquement. Qu'il n'y ait pas de violence contre notre cher peuple de Birmanie.

Hélas, les représentants élus de notre peuple appartenant à la LND ont été arrêtés. De même que de nombreux écrivains, activistes et jeunes. Je vous exhorte à respecter leurs droits et à les relâcher au plus tôt. Ce ne sont pas des prisonniers de guerre; ils sont les prisonniers d'un processus démocratique. Vous promettez la démocratie; commencez par les relâcher. Le monde vous comprendra.

3. À Aung San Suu Kyi et au Président U Win Myint et tous nos dirigeants bien-aimés :

Chers dirigeants de la LND (Ligue Nationale pour la Démocratie) : Vous êtes dans cette situation désespérée dans votre lutte sans fin pour apporter la démocratie à cette nation. Le tour inattendu des événements vous a faits prisonniers. Nous prions pour vous et exhortons toutes les personnes concernées à vous relâcher au plus tôt.

Chère Daw Aung San Suu Kyi, vous avez vécu pour notre peuple, sacrifié votre vie pour notre peuple. Vous serez toujours la voix de notre peuple. Ce sont des jours douloureux. Vous avez connu l'obscurité, vous avez connu la lumière dans cette nation. Vous n'êtes pas seulement la fille préférée du père de la nation, le Général Aung San. Vous êtes Amay Suu pour la nation. La vérité triomphera. Dieu est l'arbitre ultime de la vérité. Mais Dieu attend. En ce moment, je vous assure de ma compassion dans cette situation désespérée et je prie que vous puissiez une fois de plus marcher au milieu de votre peuple, élevant leurs esprits.

En même temps, je souhaite affirmer que cet incident a lieu à cause du manque de DIALOGUE et de communication, et du manque de tolérance mutuelle. S'il vous plaît, écoutez les autres.

4. À la communauté internationale :

Nous sommes reconnaissants pour votre préoccupation et nous sommes sensibles à votre choc. Nous sommes reconnaissants pour votre accompagnement compatissant en ce moment. Cela compte beaucoup.

Mais l'histoire a douloureusement montré que les jugements et conclusions hâtifs n'ont finalement pas servi à notre peuple. Les sanctions et les condamnations ont apporté peu de résultats, et ont plutôt fermé les portes et interrompu le dialogue. Ces mesures difficiles se sont avérées être une bénédiction pour les superpuissances qui observaient nos ressources.

Nous vous supplions de ne pas forcer les personnes concernées à marchander notre souveraineté. La communauté internationale a besoin de faire face à la réalité, en comprenant bien l'histoire et la politique économique de la Birmanie. Des sanctions risquent de faire sombrer l'économie, en jetant des millions de personnes dans la pauvreté. Engager les acteurs dans la réconciliation est le seul chemin.

Ce qui s'est passé est malheureux. Cela a anéanti notre peuple. J'écris cela en voulant les consoler. Je n'écris pas en tant que politicien. Je crois que tous les acteurs dans ce pays souhaitent le meilleur pour notre peuple. J'écris en priant et en espérant que cette grande nation, cette terre d'or d'un peuple entrera sur la scène internationale comme une communauté réconciliée, pleine d'espoir et de paix. Résolvons tous les conflits par le dialogue.

La paix est possible. La paix est la seule solution. La démocratie est la seule lumière sur ce chemin.