Le pape François en Birmanie et au Bangladesh
Pour son 21ème voyage apostolique hors d'Italie, le pape François se rend en Birmanie et au Bangladesh. Une visite pour encourager les catholiques, minoritaires dans ce pays, mais aussi pour tenter d'apaiser les nombreux conflits inter-ethniques qui font encore rage dans la région. Décryptage.
Birmanie : une démocratie qui peine à éclore
Une Église Arc-en-Ciel. Tel est le rêve de Mgr Charles Bo Cardinal Archevêque de Rangoon, ancienne capitale de la Birmanie et ville la plus importante du pays. Peuplée de 53 millions d’habitants, la Birmanie a connu une dictature militaire de 1962 à 2011. Depuis cette date, le pays amorce une lente transition démocratique. Les premières élections libres ont eu lieu en 2015. La Ligue pour la démocratie (LMD), le parti d’Aung San Suu Kyi, opposante historique au régime et fille du héros de l’indépendance nationale, le général Aun San, a remporté une écrasante victoire. Un président issu du même parti est entré en fonction au cours de l’année 2015. Pour autant, les nouvelles autorités doivent composer avec l’armée. La Constitution de 2008 réserve aux militaires la police des frontières, l’Intérieur et l’armée. Dans les faits ils détiennent la plupart des richesses minières du pays et n’hésitent pas à soumettre au travail forcé les populations qu’ils combattent, à s’accaparer les terres de ceux qu’ils déclarent apatrides, comme les Rohingyas, une minorité musulmane.
Que peuvent faire les quelques 500 000 catholiques, soit à peine 1 % de la population ? L’Église catholique a toujours soutenu les mouvements de contestation contre le régime militaire qu’il s’agisse des manifestations populaires de 1961, de 1988 et la « révolution de safran » de 2007. Elle défend l’idée d’une identité birmane qui laisserait la place à toutes ses composantes ethniques et linguistiques. Elle est aussi opposée à la concentration du pouvoir aux mains de l’armée. Les relations diplomatiques avec le Saint Siège ont été rétablies depuis l’arrivée au pouvoir de Aun San Suu Kyi .
L'éducation, un enjeu majeur
L’Église réclame aussi une plus grande liberté d’enseignement. L’homélie de Mgr Charles Bo devant les autorités et Aung San Su Kyi, dument invitée, lors de la messe du centenaire de la Cathédrale Saint Marie en décembre 2011, dénonçait une société où il y avait plus de militaires que d’éducateurs. Le système éducatif caractérisé par un apprentissage par cœur sans esprit critique est dans un état catastrophique qui affecte jusqu’au clergé. L’ouverture du régime a fait espérer aux responsables de l’Église la possibilité de récupérer les établissements d’enseignements (environ une soixantaine) qui avaient été nationalisés à la fin des années 60. Si les catholiques peuvent à nouveau ouvrir des écoles ils se voient interdire tout enseignement religieux. De fait, même si le bouddhisme n’est pas considéré comme religion officielle, le régime n’a eu de cesse de favoriser son développement soit par la fiscalité, soit par la force notamment en construisant des pagodes à la place des croix dans l’État Kachin, au nord du pays, soit par la manipulation des chiffres.
Rohingyas, Kachin : drames humanitaires
La position de l’Église catholique sur ce sujet est claire, la propagation de la foi ne doit pas être l’affaire de l’État mais des communautés religieuses. C’est en ce sens qu’elle critique l’expulsion massive des Rohingyas, la minorité musulmane. Des évêques servent aussi de médiateurs dans le conflit qui oppose l’armée birmane et les rebelles de l’État Kachin. La guerre a pour conséquence d’empêcher l’arrivage des secours et des vivres dans les zones occupées par les rebelles. Les populations prises entre deux feux sont victimes du trafic de drogue et de la traite humaine. Le nombre de déplacés au sein du pays dépasse les centaines de mille. Le Bangladesh refuse de recevoir davantage de Rohingyas et en ré-expulse vers la Birmanie, au risque de les livrer à leurs bourreaux.
Est-ce que l’arrivée du pape pourra relancer le processus de paix mis à mal par l’opposition des militaires et le silence d'Aung Saan Suu Kyi, icône de la démocratie et Prix Nobel de la Paix en 1991 ? Le 22 novembre l’Église catholique de Birmanie a fêté ses 500 ans d’existence, l’occasion peut-être de marquer le pas vers d’avantage d’ouverture sur le monde.
Reportage
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Le Bangladesh : de multiples défis
Indépendant depuis 1971, le Bangladesh compte 160 millions d’habitants sur un territoire grand comme la moitié de l’Italie compris entre l’embouchure de deux grands fleuves le Brahmapoutre et le Gange. Musulman sunnite à 85%, il existe environ 9,2 % d’hindous et 5,8% de chrétiens.
L’Église est présente dans cette région depuis le 16e siècle grâce à l’arrivée de missionnaires portugais. C’est eux qui construisent le Saint Rosaire, la plus ancienne Église du pays. Le premier martyr est un jésuite le père Francisco Fernandez torturé à mort en 1602. En 1853, des prêtres missionnaires de la Congrégation de Sainte Croix (CSC) prennent pied au Bengale. Ils s’investissent particulièrement dans l’éducation. Leur rayonnement intellectuel agit toujours notamment à travers leur collège Notre Dame à Dakha et leur récente faculté. Il s’agit de la seconde visite d'un souverain pontife au Bangladesh, après celle de Saint Jean-Paul II en 1986.
Le 19 novembre 2016 l’archevêque de Dakha Patrick D’Rozario a été créé Cardinal. C’est le premier dans le pays. L’homme d’Église y voit un geste d’encouragement pour la petite Église du Bangladesh mais aussi un devoir celui de porter la voix des pauvres et des périphéries. « Notre rôle social est celui du sel. Je cite souvent l’exemple d’une assiette de riz : il n’est pas nécessaire d’y mettre beaucoup de sel et il suffit de quelque grains pour que le riz ait bien meilleur goût » (Entretien à Église d’Asie donné en 2016)
L’Église du Bangladesh est confrontée à quatre défis majeurs :
- La pauvreté
Le Bangladesh est la fabrique du monde (tissus, recyclage de matériaux industriels etc.) le salarié Bengalais gagne moins que le salarié Chinois, soit environ 80 €/mois. De violentes manifestations ont eu lieu pour doubler le salaire. Les églises protestantes se montrent assez réactives sur le sujet mais l’Église catholique apporte un soutien plus discret notamment à travers le mouvement des coopératives chrétiennes, ses actions de développement et de plaidoyer pour défendre les aborigènes. L’Église agit à travers ses écoles pour lutter contre l’analphabétisme. Elle est présente aussi dans les établissements de santé.
- Le défi climatique
Mgr Théotonius Gomes, évêque auxiliaire émérite de Dakha et président de la Caritas Bangladesh évalue à 50 millions le nombre de réfugiés climatiques dans le pays. En effet, le réchauffement climatique menace le pays de disparition par immersion. Le cyclone Nargis qui a touché le delta de l’Irrawaddy dans la nuit du 2 au 3 mai 2008 accompagné d’un tsunami, a fait 140 000 morts et 2,5 millions de sinistrés.
- La défense des Rohingyas
L’Église suit de près la façon dont sont traités les Rohingyas, la minorité musulmane de la Birmanie, pays voisin. On évalue à 400 000 le nombre de réfugiés. L’idée du gouvernement de les parquer sur une île ,récemment émergée, a provoqué une opposition franche de l’Église, rappelant que l’endroit était inhabitable.
- La liberté religieuse
Dans un pays majoritairement musulman où l’islam est reconnue religion d’État depuis 1988, l’Église catholique agit pour favoriser le dialogue inter-religieux. Elle organise des rencontres avec les responsables des autres religions comme avec les autorités civiles. Ses nombreuses institutions où travaillent ensemble chrétiens et non-chrétiens sont aussi un vecteur privilégié de ce dialogue. Si l’Église joue en générale la carte de la modération, elle n’hésite pas à prendre la parole à travers la Conférence des Évêques du Bengladesh pour dénoncer une loi qui va à l’encontre des valeurs qu’elle prône comme celle autorisant le mariage des mineurs ou pour exiger l’ouverture d’une commission d’enquête lors de violences inter-religieuses.
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