L'homélie de la messe du Jubilé de sainte Odile du cardinal Pietro Parolin
HOMELIE DE LA MESSE
A L’OCCASION DES 1300 ANS DE LA MORT DE SAINTE ODILE
STRASBOURG, 4 JUILLET 2021
Excellence Mgr Luc Ravel, Archevêque de Strasbourg,
Chers confrères dans l’Episcopat et dans le Presbytérat,
Cher Mgr Gilles,
Distinguées Autorités,
Chers frères et sœurs en Christ,
je suis heureux d’être dans cette magnifique ville de Strasbourg, au cœur de l’Europe, pour représenter le Saint-Père en qualité de Légat Pontifical pour la célébration des mille-trois-cents (1300) ans de la mort de Sainte Odile, Patronne de l’Alsace, et pour l’Ordination épiscopale de S.E. Mgr Gilles Reithinger, nommé Auxiliaire de l’Archidiocèse. En cette heureuse circonstance, j’ai l’honneur de vous apporter le cordial salut et la bénédiction du Pape Francois.
Cet événement veut affirmer qu’alors que l’histoire se déroule avec ses conquêtes et ses tragédies, avec ses espérances et ses lourdes chutes, dans le même temps, la croissance du Royaume de Dieu est irrésistible, particulièrement perceptible dans la vie des saints. Ceux-ci nous offrent, à chaque époque, des exemples lumineux à imiter et deviennent de valides intercesseurs. Leur vie des saints est précieuse parce qu’elle témoigne du fait que les événements qui méritent un souvenir reconnaissant ne sont pas ceux qui sont souvent célébrés dans les récits, mais ceux qui, en ouvrant les yeux et le cœur vers le Haut, permettent de vivre chaque expérience quotidienne en profonde relation avec la destinée ultime, qui n’est faite ni de mort ni d’abandon, mais de plénitude de vie et de joie.
Nous nous trouvons devant la particularité de la méthode choisie par Dieu pour réaliser notre salut, qui a sa source dans l’Incarnation. C’est le mystère du grain de blé qui meurt pour donner beaucoup de fruit ; c’est le mystère de la graine de moutarde qui devienne une grande plante !
Comment donc ne pas penser à la vierge Odile, née aveugle et repoussée par son père de la terre ?
Sainte Odile, rejetée parce que infirme et donc considérée comme inutile, est devenue, comme l’a affirmé Pie XII, « la perpétuelle et céleste Patronne de l’Alsace », et elle est vénérée dans plusieurs régions européennes.
Dans sa vie se manifestent la puissance et la délicatesse de l’action divine, mises en relief également par les lectures que nous venons d’écouter. C’est une puissance créatrice et rédemptrice, capable de renverser les perspectives humaines et de faire fleurir le sourire de l’espérance, même dans des situations qui sembleraient sans issue. Le prophète Isaïe est très explicite : « Soyez forts, ne craignez pas. Voici votre Dieu : il vient lui-même et va vous sauver. Alors les yeux des aveugles verront, et les oreilles des sourds s’ouvriront. Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie ; car l’eau jaillira dans le désert, des torrents dans le pays aride. Ceux qu’a libérés le Seigneur reviennent, ils entrent dans Sion avec des cris de fête, couronnés de l’éternelle joie. Allégresse et joie les rejoindront, douleur et plainte s’enfuient » (Is 35, 4-10). Il fait écho à l’Apocalypse qui promet cieux et terre nouveaux, où l’eau de la vie coulera en abondance.
A la lumière de ces paroles consolantes je vous invite donc à prêter attention à l’essentiel de notre foi pour nourrir une espérance de roc que personne ne pourra nous enlever. Notre foi professe le Dieu qui se fait Homme, l’immense qui devient petit, le Roi innocent de l’univers qui se laisse capturer et juger coupable. Elle professe le Tout-Puissant qui est frappé et humilié par les pécheurs, et cloué sur la Croix. Mais cette défaite apparente est transformée en victoire, et la Résurrection du Christ est une anticipation de la nôtre, nous pour qui la mort devient rédemption et la souffrance se transforme en joie.
Célébrer sainte Odile, rappeler son œuvre d’Abbesse et de fondatrice du monastère de Niedermunster, c’est proclamer la puissance de Dieu qui se sert des circonstances les plus malheureuses pour former des âmes saintes qui témoignent l’infinie bonté de notre Rédempteur. C’est se réapproprier les raisons profondes de l’espérance qui est en nous et qu’il faut dire à quiconque nous en demande les raisons, comme l’affirme l’Apôtre Pierre (cf. 1 P 3, 15), de manière à relativiser, à la lumière de l’absolu de Dieu, toute difficulté et épreuve.
L’Europe a besoin d’espérance, si elle veut que finisse l’hiver démographique, qui n’est pas d’abord le fruit d’une crise économique ou sociale, mais de l’affaiblissement de l’espérance et du sens authentique de la vie et de l’existence.
L’Europe a besoin de retrouver le sens profond de ses racines. Celles-ci sont imprégnées de l’optimisme de celui qui est bien conscient de la présence et du poids de la Croix, mais sait que le dernier mot revient à la Résurrection. C’est pourquoi il voit le futur personnel, familial, social, historique et ecclésial libéré de l’obscure et paralysante peur de l’avenir, et c’est pourquoi il est disposé à y investir de grandes énergies.
L’Europe a besoin de foi en Dieu, qui est Père; elle a besoin de confiance en ses potentialités, surtout spirituelles.
L’Europe a besoin de charité, pour mettre au centre de ses préoccupations celui qui survit dans la marginalité, dans la pauvreté ou dans l’exclusion, et pour gérer le phénomène migratoire avec sagesse et clairvoyance, de manière à rendre concrètement praticable une vraie intégration qui devienne source d’opportunité et de fraternité et éloigne le risque de séparations et d’incompréhensions douloureuses, spectres d’une culture qui nie que tous les êtres humains sont frères et sœurs, fratelli tutti.
Nous pourrions cependant nous demander : comment faire pour que cela arrive ?
La page de l’Evangile proclamée aujourd’hui offre une clé importante et une aide précieuse.
Souvent, comme sainte Marthe, nous sommes agités par beaucoup de choses, nous voudrions tout faire et tout connaître, tout contrôler et tout prévoir. Il serait en revanche souhaitable d’imiter Marie, qui s’est assise aux pieds de Jésus pour écouter ses paroles. Il faut choisir la meilleure part pour que tout le reste nous soit donné, cette part même que Marie a choisie, afin de libérer des énergies puissantes, indispensables pour agir et servir sans se lasser.
Si nous devenons des intimes de Jésus en célébrant et en vivant la parole et les sacrements, nous trouverons la clarté et la constance indispensables pour bien agir. Si nous méditons la parole du Seigneur nous nous engagerons avec dévouement et sérénité à accomplir le bien possible, sans éteindre la créativité et sans nous livrer au pessimisme ou à la nostalgie.
Que sainte Odile nous aide à vivre pleinement notre temps comme elle a vécu pleinement son temps, et qu’elle nous aide à ouvrir les yeux vers Dieu, source de notre être, guide de nos pas, lumière et salut.
Je m’adresse maintenant à vous, cher Mgr Gilles. Votre vie et votre parcours sacerdotal laissent aussi transparaitre la bienveillance constante du Seigneur, qui vous a accompagné et conduit – pour ainsi dire – de la biologie à la théologie, de l’étude de la vie des corps à celle des choses de Dieu. Il a suscité en vous l’amour pour la mission et vous a conduit, de Mulhouse, votre ville natale, à Singapour comme missionnaire. Après avoir rempli différentes charges, vous avez assumé depuis 2013 la fonction de Supérieur de la Société des Missions Étrangères de Paris.
Maintenant le Seigneur vous reconduit en Alsace et vous confie la charge de le servir comme Evêque. Le fil rouge qui relie chaque étape de ce cheminement est le don de Dieu et votre disponibilité à l’accueillir, c’est le service de l’Eglise par amour de Dieu et la réponse divine surprenante et originale.
Comme le Pape François l’a dit : « Être pasteurs signifie croire chaque jour dans la grâce et dans la force qui nous vient du Seigneur, malgré notre faiblesse » (Profession de foi avec les Évêques de la Conférence épiscopale italienne, 23 mai 2013).
Dans l’Ordination vous recevez la plénitude du sacerdoce, c’est-à-dire tous les pouvoirs salvifiques transmis par les Apôtres à leurs successeurs pour l’édification de l’Eglise. Ce sont des pouvoirs donnés librement par le Seigneur, fruit de son sacrifice sur la Croix et qui vous sont confiés non pas pour votre auto-affirmation, mais pour un service d’amour envers les âmes que vous rencontrerez et envers l’Eglise. Pour accomplir avec honneur et rendre, en partie au moins, les bienfaits du Seigneur, vous devrez consacrer toute votre énergie, votre temps, vos pensées et tout votre projet de vie à votre mission, celle de sanctifier le peuple de Dieu et de le gouverner dans les choses qui concernent Dieu, en union avec l’Archevêque et le Saint-Père.
En assumant cette mission rappelez-vous que, pour sanctifier le peuple qui vous est confié vous ne devrez pas arrêter de vous sanctifier. Pour enseigner vous devrez toujours rester un fidèle disciple du Seigneur et pour gouverner vous devrez persévérer dans l’humilité et dans la douceur, qui ne s’opposent ni à la clarté ni à la fermeté, mais qui sont au contraire la condition de leur pleine efficacité.
Que la Vierge Marie vous assiste, elle à qui est dédiée cette splendide Cathédrale. Qu’intercède pour vous la vierge sainte Odile, qui a fait l’expérience de la puissance de l’amour de Dieu surmontant tout obstacle. Que l’intercession de Notre Dame et de Sainte Odile accompagne le cheminement ecclésial de l’Archidiocèse de Strasbourg et aide tous les chrétiens à redécouvrir la beauté des dons reçus au baptême.
Ainsi soit-il.